•  Triste dessein

    Instrumentale :


    Couplet 1 :
    Le militantisme, c'est combattre le mal par le mal /
    C'est s'attaquer au dogmatisme en s'en créant un arsenal /
    C'est prétendre savoir mieux que les autres, puisqu'on cherche à les convaincre /
    Que la bonne vision du monde, c'est celle qui nous convient /
    C'est un peu comme un gouvernement, mais sans pouvoir /
    D'ailleurs c'est ce qu'ils aspirent à être, et quand d'toutes parts /
    Il nous harcèlent et changent la politique en un grand foutoir /
    Moi avec passion et obstination je fixe mon écran tout noir /
    Et c'est beau, bien sûr que le noir est une couleur /
    La seule qui ne ment pas, quand on voit comme les urnes nous leurrent /
    Ils courrent par dizaines de millions voter pour un meilleur destin /
    Ils changent de marionnette, mais elle restera sur la même main /
    Ils hésitent entre le bourgeois de gauche et puis le bourgeois de droite /
    Qui ont le même programme en gros et se distinguent par bourrage de crâne /
    Finalement ils voteront la peur, c'est ce qui attire le plus l'attention /
    Et moi j'attends qu'arrive l'heure des 80% d'abstention /

    Refrain :
    Triste dessein que de prendre la vie pour une lutte /
    Ivre déclin, obsessionnelle chute /
    Tragique illusion d'avoir pour unique solution /
    L'adversité /
    Pauvre humanité enfermée dans ce qu'elle crée /
    Dogmes enracinés, pulsion de vie séquestrée /
    Mais le seul coup qu'on puisse mettre dans les genoux de ce système /
    C'est pas de le combattre, c'est de le quitter /

    Couplet 2 :
    Une poignée d'voleurs à cravates prend des millions sur notre dos /
    Nous matraque de "valeur travail" = docilité du prolo /
    Ca n'a rien d'une valeur, si ce n'est celle de leurs villas /
    Ils prennent 50 fois nos salaires et parlent de mérite, putains d'vicelards /
    Réponse du peuple, marcher dans la rue en chantant /
    Dire que c'est pas bien, être bien content de se faire entendre /
    Rentrer chez soi à 17h, satisfait d'être un révolté /
    Mettre le réveil à 6h30, le lendemain faut retourner bosser /
    Elle doit bien s'marrer /
    La France d'en haut, son système est si bien installé /
    Qu'elle peut même se permettre de laisser les bêtes aller courir /
    Elles reviennent toutes seules dans leur cage et en plus avec le sourire /
    C'est pathétique, système pourri à la racine /
    Même leurs révoltes sont soumises à la machine /
    Les syndicats sont le bras droit de nos dirigeants déjantés /
    Ils canalisent l'insoumission en feignant de la représenter /

    Refrain :
    Triste dessein que de prendre la vie pour une lutte /
    Ivre déclin, obsessionnelle chute /
    Tragique illusion d'avoir pour unique solution /
    L'adversité /
    Pauvre humanité enfermée dans ce qu'elle crée /
    Dogmes enracinés, pulsion de vie séquestrée /
    Mais le seul coup qu'on puisse mettre dans les genoux de ce système /
    C'est pas de le combattre, c'est de le quitter /
     
    Avant d'espérer /
    Passer derrière les murs /
    Faudrait essayer /
    De les voir /
    Plutôt qu'persister /
    A se battre pour moins mourir /
    Faudrait s'esquisser /
    Pour vivre /

    Couplet 3 :
    La mentalité militante, comme tu l'entends, m'est irritante /
    D'autant que des gens, en l'imitant, tendent à des pensées limitantes /
    Ca se prend pour des résistants, c'est révolté mais à mi-temps /
    Ca monte le ton en omettant qu'un mouton noir reste un mouton /
    Et ça bêle des chansons et des slogans /
    Ca prend pour fondement théorique des tracts et des autocollants /
    Ca s'affirme anarchiste, ça ignore qui est Proudhon /
    La couleur noire, dans leur esprit, n'est en fait qu'un grand trou d'ombre /
    Ils participent à rendre caricaturales /
    Des idées qu'ils prétendent radicales, tu parles /
    Alors que de vrais anars, à l'image nulle part /
    Construisent la vie en marge dans l'habitat rural /
    Et ça, c'est un comportement libertaire /
    Potager, énergie solaire, médecine des plantes, eau de la rivière /
    Non j'ai pas la tête dans les nuages, c'est vous qui l'avez dans l'système /
    Au point que de l'idée de la vie ne reste qu'un aberrant mystère /

    Refrain :
    Triste dessein que de prendre la vie pour une lutte /
    Ivre déclin, obsessionnelle chute /
    Tragique illusion d'avoir pour unique solution /
    L'adversité /
    Pauvre humanité enfermée dans ce qu'elle crée /
    Dogmes enracinés, pulsion de vie séquestrée /
    Mais le seul coup qu'on puisse mettre dans les genoux de ce système /
    C'est pas de le combattre, c'est de le quitter /

    Outro :
    Avant d'espérer /
    Passer derrière les murs /
    Faudrait essayer /
    De les voir /
    Plutôt qu'persister /
    A se battre pour moins mourir /
    Faudrait s'esquisser /
    Pour vivre /

     

     


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  • Réveil à Chania avec une pensée en tête : comment va mon pied ? Je me lève et teste. Ca fait mal. Impossible de marcher correctement... Tant pis, je ne veux pas rester bloqué ici, je pars quand même. Projets du jour : partir en bus à Paleochora (sud-ouest), un village soit-disant très joli, puis direction Irakleio où Orestis (que je connais de Mytilène mais qui est de Crète) m'accueillera.

     

    Παλαιόχωρα (Paleochora) : passage éclair.


    Je descends du bus et regarde autour de moi : pas grand-chose. Je boîte dans la petite rue vide jusqu'au premier croisement. La mer est à gauche, je m'y dirige. Rien de spécial, les vagues, le vent, presque personne. Je pars ensuite dans l'autre direction : encore la mer, mais sans vent, et avec une plage. Paleochora se situe en fait dans une avancée de terre dans la mer, dont elle est du coup presque entourée. Mais rien n'attire particulièrement mon attention ici, et à cause de mon pied, je ne peux pas explorer les environs comme j'ai l'habitude de le faire. Je reprends finalement le bus une demi-heure plus tard, celui-là même qui m'a amené ici. Je repars là d'où je viens, un peu énervé par cette virée inutile.

    De bus en autostop en re-bus, je parviens en fin d'après-midi à mon objectif de la journée.

     

    Ηράκλειο (Irakleio) : convalescence d'un bon vivant

    Je ne savais pas qu'Irakleio était une si grande ville. Quand elle apparaît à travers la vitre du bus dans sa quasi-intégralité, mes yeux s'écarquillent pendant quelques secondes. Rien à voir avec les Rethymno et Chania dont je m'attendais à trouver une troisième soeur ici ! J'apprendrai plus tard que c'est la troisième ville grecque après Athènes et Thessalonique.

    Orestis vient me chercher en moto à la station de bus, et à partir de là, comment vous dire... la vadrouille se met en pause. Je ne connais pas bien Orestis, mais je découvre que nous avons pas mal de points communs, et notamment un : celui d'être un peu fêtards sur les bords... Un peu. En clair, et d'autant plus que mon pied m'empêche d'aller me balader, finies les journées de marche et les beaux paysages, il faudra revenir dans trois jours. Pour le moment, c'est cuisine crétoise de la grand-mère d'Orestis, musique, raki et bières au Jail House (un bar rock de la ville). Et coucher au petit matin.

    Trois photos, quand même, de ce séjour si riche en enseignements :

    Fidel, un pote que je me suis fait. Il habitait la même maison que moi.

    Et puis cette pratique assez courante, partout, de donner un nom français à son magasin pour le rendre plus classe... parfois en vain :

     

    Ah, j'oubliais, reste aussi une anecdote romantique qui m'a beaucoup marqué. Alors que nous faisons la fermeture du Jail House vers 7h du matin et que nous sommes bien évidemment totalement à jeun, un type avec qui nous avons passé la nuit réalise que je suis français. "Ah, il est français ?! Je lui parlais en grec, moi" ! De toute façon, vu ce qu'il reste de son articulation, pensé-je, il pourrait bien parler japonais que ça ne changerait pas grand-chose à ma compréhension. Le type m'annonce alors fièrement qu'il connaît une phrase en français. Je suis tout ouïe. Le voilà qui prend un air distingué, délicat, raffiné, tout ce que vous voulez, et qui me déclare avec solennité et prononciation grecque : "Quand ze te vois, ze veux zouir tout dur dans ta bousse". Je suis touché.

    Au bout de trois jours à Irakleio, j'arrive à peu près à marcher. Je décide d'aller faire une dernière vadrouille vers le sud avant de rentrer à Mytilène.

     

    Κομός (Komos) : retour à l'anormal

    Komos n'est pas une ville mais une plage, dans le sud, à quelques kilomètres de Matala. J'ai toujours la tente de Liza que je n'ai pas encore pu utiliser, voilà l'occasion. Il faut dire que l'endroit ne donne pas tellement envie de s'en aller tout de suite...

    La nuit venue, j'allume la petite lampe torche que j'ai achetée en venant, j'écris et je lis.

    Et puis je tombe.

    Réveil à une heure inconnue, proche de 9h30 ou 10h du matin je suppose. Je plie la tente, grignotte ce que j'ai dans le sac, et me dirige vers cette falaise qui me tente bien depuis hier, celle qu'on voit ici sur la gauche :

    Bien sûr, il n'y a pas réellement de chemin pour atteindre mon but, alors je tâtonne, traverse des champs, contourne des obstacles, fais demi-tour... Impossible d'accéder à cette foutue falaise ! Je fais néanmoins d'autres trouvailles intéressantes, et notamment cette petite ouverture au milieu de la photo :

    Je sais que je suis dans une région où les hippies venaient habiter dans des grottes dans les années 60, je me dis que c'en est peut-être une. Je m'approche.

    Il n'y a en fait à l'intérieur qu'une table, et en aucun cas la place pour s'allonger.

    Une espèce de refuge, peut-être, un abri, cela restera un mystère...

    Je découvre également cette grotte qui, elle, a peut-être été habitée :

    Finalement, je m'écarte de mon but et me retrouve sur une route assez importante qui semble se diriger vers Matala, une ville que je comptais de toute façon visiter aujourd'hui. Je marche, tout en gardant l'espoir d'apercevoir une petite route sur la droite qui me redirigerait vers la falaise, ou au moins qui me permettrait d'aller jusqu'à Matala en longeant la mer plutôt que sur cette route pas franchement agréable pour un piéton. Pas plus de quelques minutes plus tard, je rencontre ceci :

    Une route sur la droite qui ne va nulle part. Il suffisait de demander ! Je marche une demi-heure vers la falaise. A partir de là, mon attirance pour l'endroit ne fait que se confirmer...

    Quand vous avez ça devant les yeux, que pensez-vous, que faites-vous ? Demi-tour vers la route goudronnée, ou balade improvisée vers je-ne-sais-où ? Je crois bien que la question ne se pose pas longtemps ! Alors j'y vais, je marche peut-être 1h30 en longeant la mer, dans ce paysage sublime.

    Et je marche, et je me régale. Et soudainement, alors que je ne l'envisageais pas même dix secondes plus tôt, me voilà né à né avec le vide. Barre rocheuse. Et en dessous :

    Matala !

    Je tâtonne un peu, mais impossible de descendre, c'est une falaise. Il me faut donc faire demi-tour et revenir par la route. Ce n'est pas grave, l'endroit est tellement beau que de le reparcourir dans l'autre sens ne relève pas franchement de la corvée.

     

    Μάταλα (Matala) : 50 ans de retard

    Le voilà donc, ce village dont les grottes abritaient les hippies des années 60. Si j'aurais su, j'aurais venu avant. Malheureusement, je ne m'étais pas encore décidé à naître. J'arrive donc un peu en retard, mais c'est toujours ça à voir et à imaginer.

    En dehors des grottes, le village est un lieu touristique comme on en voit dans tout le sud de la Crète. Des magasins à touristes, des chambres à louer, des tavernes, une plage. L'intérêt de l'endroit ne se manifeste que lorsque l'on tourne la tête vers la falaise (en haut de laquelle j'étais il y a deux heures).

    C'est assez impressionnant. Je visite, me mets dans la peau de quelqu'un qui vivrait ici. La manière dont la roche est parfois "aménagée" en bancs ou en tables me permet vraiment de visualiser. Certaines grottes sont vraiment difficiles d'accès, je me dis qu'il y a pu avoir des éboulements entre-temps, qui en auraient modifié l'accessibilité, ou simplement qu'elles n'étaient pas toutes habitées. Bref, je me promène, et puis je fais vite le tour. Rien d'autre à voir à Matala, alors je commence à penser à mon retour à Irakleio : ce soir, je prends le bateau pour Athènes puis Mytilène.

    Il y a un bus dans une demi-heure, le temps de lire un peu.

     

    Ηράκλειο (Irakleio) : bilan mitigé

    Voilà, c'est terminé. C'est reparti pour plus de 24 heures de trajet, alors j'ai le temps de penser. Dix jours de passés en Crète, mais je crois bien qu'il faudra revenir. L'île est vaste et grouille d'endroits immanquables. Que j'ai pourtant manqués. Et puis venir à Pâques n'était pas une bonne idée, impossible de trouver des couchsurfers en cette période.

    Le bilan est moyen. Je n'ai pas pu visiter la côte ouest où se situent les plus belles plages de Crète (de Grèce, peut-être). Pas de bus dans ce coin-là en cette saison. Et pas assez de touristes pour faire du stop. Je n'ai pas non plus vu les gorges de Σαμαριά (Samaria), tellement belles qu'ils en ont fait un parc payant, pas encore ouvert en avril. Je suis parti en vadrouille à pieds dans le sud alors que la météo m'avait prévenu de ne pas le faire, j'ai marché 40 kilomètres pour finir trempé et épuisé et repartir au nord en stop sans même utiliser la tente empruntée juste avant. A cette occasion, à en vouloir trop, je me suis même abîmé le pied à m'en retrouver immobilisé pendant 4 jours. Bref, je n'ai pas l'impression d'avoir toujours bien géré les choses. Bien sûr, il y a les beaux paysages, les photos, quelques rencontres sympa, des souvenirs qui resteront, un sentiment de liberté qui m'a saisi à plusieurs reprises. Je n'en reste pas moins un vadrouilleur apprenti.


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  • Mauvais bluff



    « T’as qu’à l’inviter à la maison, tant que tu y es, moi je partirai je-sais-pas-où, je vous laisserai tranquilles en amoureux !
    — Steph, arrête, tu sais très bien que tu dis n’importe quoi.
    — Tu pourras partager avec elle tes beaux films, tes livres que moi je suis infoutue de comprendre, et même, elle peut dormir à ma place, si ça vous démange tellement !
    — Steph, tu es en train de repartir en live, là…
    — Repartir en live, ouais ! Peut-être bien aussi qu’à force que les doutes s’accumulent je me dis qu’il doit y avoir une raison ! Une bonne raison de douter ! Et puis de ‘partir en live’ ! Les regards mielleux, les sourires bourrés de sous-entendus, et puis tout ce que je vois sûrement pas. Déjà avec tout ce que je vois, il y a de quoi ‘partir en live’, tu vois, alors si je savais le reste, putain ! »

    Konstantinos fixait la route avec un calme construit. La demoiselle refaisait sa crise, presque habituelle. S’énerver ne pouvait qu’empirer les choses et, n’ayant pas de solution miracle, il laissait simplement passer la tempête. Il écoutait. D’une oreille, les éclats de voix de Stéphanie, de l’autre, les chuchotements de sa bonne conscience. Rester calme. De temps en temps, il déposait une phrase plate entre deux élans soprano, histoire que sa dulcinée se sente à peu près écoutée. Son cœur tapotait un peu, et sa mâchoire se crispait à chaque fois qu’il ne pensait plus à la relâcher. La discussion serait plus facile le soir, ou le lendemain. En attendant, ça grinçait sévèrement, et il fallait subir.

    Une petite heure plus tard régnait dans la voiture un silence lourd. Apaisant au début, mais finalement trop lourd pour Konstantinos. Ne plus savoir ce qu’elle pensait ou ce qu’elle attendait, et du coup ne plus savoir quelle attitude adopter, ce n’était pas rien avec Stéphanie. D’un moment à l’autre, elle était tout autant capable d’éclater en larmes que de lui envoyer sa main à travers la gueule, et le silence qui précéderait serait le même. Avec toujours le regard fixé sur la route, il passait en revue toute une liste de phrases qu’il envisageait sans les oser, mais aussi la liste de celles qui avaient déjà fait preuve d’une remarquable inefficacité…
    Le « ça va mieux ? » sur un ton compréhensif débouchait par exemple sur quelque chose comme : « Comment ça, ça va mieux ? Non mais attends, si y’en a un de nous deux qui va pas bien c’est pas celui que tu crois mon pauvre ! Un mec pas foutu de rester avec une fille sans aller jouer avec sa bite dans toute la ville, chez moi ça s’appelle un malade ! Tu m’entends ? Un malade ! » Etc, etc. Il y avait aussi l’option diplomate, avec par exemple « eh ben, un peu de silence, ça fait du bien aussi, et puis c’est plus facile de s’expliquer dans le calme, tu crois pas ? ». A ce moment-là, Stéphanie passait directement aux insultes, et en venait assez rapidement au jet d’objets divers : « Le silence, tu l’aurais si tu contrôlais tes pulsions sexuelles, connard ! » Et hop, une chaise, un saladier ou une chaussure... Konstantinos avait également essayé quelque chose de plus pinçant le jour où il avait lancé : « ça y est, c’est fini ou y’en a encore » ? Il s’agissait de la bousculer un peu, mais c’était du bluff. Cette option n’avait pas été si mauvaise puisqu’elle n’avait engendré qu’un simple « ouais, j’ai fini », certes très sec, mais qui au moins stoppait les festivités pour le moment. Le problème, c’est que ce « j’ai fini » plaçait soudainement Konstantinos en position d’exposer à son tour ses arguments, peut-être son agacement ou juste sa version des faits, mais qu’il avait été en totale incapacité d’ajouter un mot de plus. Et un bluff, ça ne se fait pas à moitié. Résultat, trois jours de silence, soit bien pire qu’une heure de cris.
    Le silence pressait toujours. Alors, qu’essayer ce soir-là ? Le « tu sais, c’est dur pour moi quand tu t’énerves comme ça… » était probablement un coup à terminer à l’hôpital, surtout à 100 kilomètre-heure sur la nationale. Elle le considérait comme le dernier des enfoirés, l’entendre se plaindre serait la cerise sur le gâteau. Alors quoi, l’affronter ouvertement ? « De toute façon, je vais finir par aller baiser à droite, à gauche, comme ça tu auras une raison de t’énerver ». Oui, ce serait sans doute efficace, mais Konstantinos était totalement incapable de lui parler sur ce ton. Incapable de manifester la moindre méchanceté envers elle, quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle dise, c’en était presque maladif. Et il le savait, et ça lui pesait.
    Son regard sur la route se durcit. Tout le temps les cris, la jalousie, les crises de nerf, tout le temps subir. Et qu’était-il en train de faire à présent ? Se casser la tête à chercher la phrase qui ramènerait la paix. Etait-ce vraiment à lui de le faire ? Tout ça parce qu’il était incapable de s’exprimer, de dire simplement les choses telles quelles, sans arrière-pensée, sans calcul. Et de la contrarier. Elle, est-ce qu’elle se souciait une seule seconde de lui et du couple chaque fois qu’elle abattait sa pluie de cynisme sur le calme ambiant ? Non. Elle, elle balançait les absurdités qui lui passaient par la tête sans même envisager que des dégâts pussent en résulter. Et ça, peut-être bien qu’il avait le droit de ne pas l’apprécier. Peut-être bien qu’il avait le droit d’être fier, de refuser de se faire piétiner par des concessions injustes, et même d’être méchant si c’est ainsi qu’il avait envie d’être.

    « J’en ai marre… »

    C’était Stéphanie qui avait repris la parole. Cette simple phrase, d’une petite voix descendante. Konstantinos tourna la tête vers elle ; elle pleurait. Son visage s’était adouci, ses longs cheveux noirs et raides s’embourbaient dans ses larmes. Elle était appuyée contre la vitre et ses épaules frêles lui donnaient l’air vulnérable, poupée fragile. Elle avait le regard de quelqu’un qui ne demande que de la tendresse.

    « Ferme ta gueule, Steph. Tu me casses les couilles, ferme ta gueule ».

    Dans un sursaut, elle se tourna vers lui et le fixa avec appréhension. Il ne lui avait jamais parlé de cette manière. Ce « ferme ta gueule » avait pris de l’élan. Que se passait-il ? Perdue, elle attendait la phrase suivante comme on attend un verdict. La phrase suivante ne vint pas.

    « Pardon ? »

    Le ton était faussement menaçant, la vigueur de la voix bousculée par des tremblements. Un mauvais bluff.
    Les mains de Konstantinos lâchèrent le volant. L’une se figea en face de lui tandis que l’autre partit se fracasser contre le plafond de la voiture. Il était toujours face à la route, pas un regard vers Stéphanie. Sa respiration s’était accélérée à en devenir bruyante, quelque chose en lui tentait de défoncer la porte. Chaque inspiration faisait sauter une résistance, et c’était bon.

    « Ferme ta gueule, putain » !

    Il ne parlait plus, il criait. D’une pression rapide et brutale, il décrocha la ceinture de sécurité de Stéphanie puis écrasa son pied sur la pédale de frein pendant une demi-seconde.



    « Ca te calme ça, hein, pauvre connasse ? »

    La voiture était à présent arrêtée sur le bord de la route, Konstantinos en était sorti et s’était posté à la fenêtre de Stéphanie, accoudé comme à un bar.

    « J’ai même pas besoin de te toucher pour te fracasser la gueule, tu le vois, ça ? »

    Sa respiration était toujours forte, mais d’une force tranquille. Plus question de bluff à présent, place au vrai jeu. Calmement, posément, il discutait avec elle.

    « Tu vois, ça fait longtemps que j’aurais pu te faire fermer ta gueule. J’avais juste pas décidé de le faire. Maintenant j’ai décidé. C’est facile. C’est moi qui décide. Si je te dis de parler, tu parles. Mais là, tu fermes bien ta gueule. Parce que je l’ai décidé. »

    Le propos tournait en rond. Décider, moi, fermer ta gueule, moi, fermer ta gueule, décider. Le manège fit encore quelques tours, et puis :

    « Maintenant, tu parles. »



    « Maintenant, tu parles », répéta-t-il.

    Stéphanie était toujours assise sur son siège, mais sa tête était partie s’appuyer contre le côté du siège du conducteur, légèrement penchée. Du sang coulait de son arcade, sur toute la partie gauche de son visage. Elle était exactement tournée vers Konstantinos, et ses yeux pétrifiés projetaient un silence bétonné.

    « Maintenant, tu parles ! » ordonna-t-il.

    Ca ne marchait pas. Il ne décidait pas.
    Perdant soudain tout le contrôle dont il avait cru faire preuve jusque là, il se mit à hurler frénétiquement : « Maintenant tu parles, bordel ! Parle ! Parle ! » Le mot « parle » était longuement hurlé, d’une voix cassée, presque incompréhensible. Comme pour refuser le silence, il envoyait de formidables coups de pied dans la portière, et puis hurlait encore, hurlait puis frappait. Elle continuait de le fixer, immobile, avec le même regard figé.
    Quand l’épuisement fut plus fort que la peur du silence, les coups furent accompagnés de larmes hargneuses, puis de larmes, tout court. Il ne frappait à présent que par jusqu’auboutisme. Et puis il ne frappa plus. Ne hurla plus non plus. Il laissa ses jambes céder enfin et s’écroula sur l’herbe de ce bord de route. Mauvais bluff. Les yeux brouillés par les larmes, il regarda le ciel crépusculaire lui exposer l’immensité, le silence, la paix, le contrôle. La vraie force.

    La portière s’ouvrit, et Stéphanie mit pied à terre. Pas d’expression de visage, pas d’émotion, quelques phrases en un flot neutre. « Tu n’es qu’un putain de faiblard, tu joues le gentil parce que tu as peur, tu encaisses ton quotidien parce que tu n’oses rien faire d’autre, et d’un coup, comme ça, tu casses tout. Tu as failli me tuer pour une dispute à deux balles. Tu n’es qu’un putain de faiblard et tu ne seras jamais le chef de rien ».

    Et elle partit en longeant la route.


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  • Neuf mois en Grèce ; pour accoucher de quoi ? Arrive déjà la fin de cette année erasmus. Tant de rencontres, de vadrouilles, de fêtes, de découvertes, que j'aurais le vertige de me lancer dans un article avec la prétention de tout dire. Et puis ce blog en a déjà montré pas mal.

    Alors finalement, pour accoucher de quoi ? D'une envie de rester. Le titre du blog est dorénavant menteur, puisque je suis toujours à Mytilène après 10 mois ici, et que je ne compte pas partir tout de suite (nb : au moment de l'écriture de cet article, le titre du blog était : "9 mois en Grèce, pour accoucher de quoi ?"). Non pas que l'accouchement soit compliqué, mais plutôt que les rejetons soient plus nombreux et conséquents que prévu, comme vous l'avez compris.

    C'est la gentillesse des gens, la simplicité des relations, la ville animée jusqu'au matin, les tavernes, la cuisine grecque, les centaines d'îles à visiter... J'en oublie.

    Je n'essaie pas de décrire un paradis, juste un endroit qui mérite de s'y attarder un peu. Je vais essayer d'enseigner le français à des particuliers tout en passant le diplôme à distance pour pouvoir le faire officiellement (DAEFLE). Si je ne trouve pas (ou pas assez) d'élèves, il faudra que je parte, à cause de l'argent. Mais on me dit que je devrais m'en sortir, alors je vais tenter.

    Je veux aussi continuer d'apprendre le grec. C'est une langue difficile, et lorsqu'on est erasmus, on parle surtout anglais. Pour l'instant, je ne peux tenir qu'une conversation basique, et je serais assez frustré de devoir partir maintenant. Mais en quelques mois de plus, je pourrais acquérir un niveau plus intéressant...

    La bonne nouvelle pour vous, c'est que ceux qui n'ont pas pu venir me voir jusqu'ici se voient accorder un délai supplémentaire.

    Je suis vraiment gentil.

    Allez, je continuerai de vous raconter mes virées. Mais pour le moment, retour furtif en France ; ne pas oublier les bases, quand même ! Pas que la France me manque, mais quelques personnes, oui. Et le fromage, tiens, le fromage.


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  • Quitte à faire le trajet France-Grèce, autant voir ce qu'il y a entre les deux, non ? L'avion, c'est confortable, rapide, facile. Mais moi, j'ai une tente, je ne suis pas pressé, et j'aime bien quand c'est un peu difficile. Alors je vais traverser l'Italie puis rejoindre la Grèce en bateau. Je vais faire du stop et du couchsurfing, je vais rencontrer ce pays à côté duquel j'ai grandi (à une demi-heure de voiture) et que je ne connais pourtant presque pas...

     

    Jour 1 : Trop facile, le stop, haha, facile, trop f...

    Deux sacs à dos pesant leur poids posés sur le bord de l'Avenue de Genève, à Sallanches, Haute-Savoie. 10h du matin. Mon pouce goûte au vent des toutes premières voitures, un goût auquel il devra s'habituer, mais ça, il ne le sait pas encore vraiment. Et de toute façon, cette initiation sera de courte durée puisque, déjà, deux ou trois minutes plus tard, un type s'arrête pour m'emmener jusqu'à la ville suivante, Le Fayet. Quelques kilomètres, c'est peu, mais ça compte. Au Fayet, un petit quart d'heure d'attente avant que quelqu'un d'autre ne me conduise à Chamonix, où un nouveau petit quart d'heure d'attente m'ouvrira les portes de l'Italie. Facile, le stop.

    Le couple lyonnais avec qui j'ai embarqué me dépose sur une petite aire d'autoroute, un peu après Aoste. Ils prennent la prochaine sortie et, suivant des conseils lus sur internet quelques jours plus tôt, je fais en sorte de ne pas m'éloigner des grands axes : le stop est difficile en Italie, inutile de partir s'embourber dans les petites routes. Je me retrouve donc sur cette aire, et une difficulté imprévue émerge soudainement. Okay, il faut aller vers les gens et leur demander s'ils peuvent m'emmener avec eux, ça, je le savais. Si je tends le pouce à l'entrée de l'autoroute, personne ne s'arrêtera. Ce que je ne savais pas, c'est à quel point cette pratique exige de mettre sa fierté de côté, à quel point le reflet du vagabond dans les yeux méprisants des gens est décourageant. Ca, non, je ne savais pas. Et c'est une vraie entreprise que d'ignorer tout cela et de se lancer.

    Aux premières réactions italiennes, je me mets rapidement à espérer des voitures étrangères sur ce parking où je ne tiens pas particulièrement à m'attarder. Il y a ceux qui font semblant de ne pas comprendre l'anglais, ceux qui prétendent prendre la prochaine sortie, et même ceux qui n'estiment pas nécessaire de prêter attention à ma question. Et ça poursuit son chemin en regardant droit devant.

    Tiens, une plaque du 78 ! Je m'approche. Voiture pleine.

    Ah, une plaque de République Tchèque ! Voilà qui sonne bien. Le mec sort de son espèce de van et se dirige vers la supérette de l'aire d'autoroute. Je l'arrête, il me donne une vague réponse négative et s'en va. Bordel, si même les étrangers s'y mettent...

    Je guette encore. Le Tchèque repasse et s'arrête. Il me demande si j'ai une carte. Non (j'aurais dû, d'ailleurs, je ne sais pas pourquoi je ne pense jamais à ce détail). Il me dit de le suivre. Ah ! Je le suis au van, nous regardons la carte sur son téléphone ou GPS (ou les deux, je ne sais plus les reconnaître). Il parle très mal anglais. Je lui montre où je vais, il me montre où il peut me poser. Je m'empresse d'accepter. "Have a sit". Thank you !

    Toute une famille est assise à bord, personne ne parle anglais. Bizarre, pour des Tchèques. Les Tchèques, d'habitude, ils parlent bien anglais. Je comprends finalement qu'ils sont russes. Alors pourquoi la plaque tchèque ? Je m'en fous pas mal. Et comme on ne peut pas parler, je dors.

    Les Russes me déposent sur un parking de centre commercial, près de l'autoroute, où je retourne faire du stop. Je trouve un bout de carton en chemin et m'en fais une pancarte "Pavia", comme je peux. Pavia, c'est la ville où m'attend ma première couchsurfeuse, Francesca. Je me poste juste après le péage d'entrée et j'attends. Regards hautains, ignorance, moqueries, j'ai droit à peu près à tout, mais personne ne s'arrête. Au bout d'un moment, une voiture de police stoppe à ma hauteur. Ce que je fais est interdit, je dois sortir de l'autoroute. Je me dis que ces deux blaireaux sont aussi débiles que ceux qui ont écrit cette loi, et puis, tant qu'on y est, que tous ceux qui n'ont pas daigné s'arrêter pour me prendre avant que je me fasse virer.

    Il me faut donc me résoudre à sortir des grands axes, contrairement à ce que j'avais l'intention de faire. Je rejoins la petite route menant à Alessandria, j'ai vaguement vu sur la carte du Russe que ce n'était pas trop loin de Pavia. Une petite femme s'arrête au bout de 10 minutes, voilà qui me redonne un peu le sourire. Elle ne m'emmène qu'à la prochaine petite ville, et me propose spontanément de me poser à la gare. J'avais en tête de poursuivre en stop, mais il est vrai qu'en étant réaliste, Pavia semble difficilement accessible avant la nuit s'il me faut compter sur la solidarité des gens... J'hésite, m'en veux de ne pas vouloir persister. Je finis par me dire que je n'ai pas à me forcer si je ne le sens plus. C'est comme ça. Et puis j'ai quand même déjà bien avancé. J'achète un billet et arrive à destination vers 19h30, fatigué.

    Francesca et Ivan m'accueillent, très sympa. Nous passons une bonne soirée tous les trois, à nous promener dans Pavia en vélo, à nous arrêter boire une bière, à discuter.

     

    Jour 2 : L'obstiné

    Une fois, mais pas deux. Aujourd'hui, je vais à Carpi en stop, point final. Je ne veux pas abandonner encore. S'il le faut, je plante la tente en chemin et finis la route demain.

    Ca, c'est dit. En attendant, je me réveille à 12h30, ce qui ne pose pas forcément de bonnes bases pour une journée de stop. Le temps de faire quelques courses, de manger, de discuter, de prendre le bus pour me rendre à la sortie de la ville... Il est 16h quand j'attaque le stop. Bon, d'accord, je planterai ma tente quelque part ce soir, soit. Mais d'ici la nuit, je peux quand même faire des kilomètres. Alors, c'est parti.

    Une vingtaine de minutes plus tard, un Togolais (donc francophone) me prend. Un type très sympa, ingénieur, habitant au prochain village. Il m'explique la fermeture d'esprit des Italiens du nord, le peu d'importance qu'ils accordent aux relations humaines, leur tendance à préférer une réussite économique et familiale quitte à abandonner tout le reste. Je me dis qu'en traversant un pays dont le peuple a élu Berlusconi, je m'exposais forcément à rencontrer des troupeaux de cons. Je garde cette pensée pour moi, mais je sens bien que mon chauffeur la partage plus ou moins. Il me dépose un village plus loin que le sien, juste pour m'aider, puis fait demi-tour pour rentrer chez lui.

    Je tends de nouveau le pouce. Une demi-heure, peut-être, ou un peu plus. Rien. Je remarque un drôle de comportement chez les automobilistes italiens : ils sont tellement réticents à prendre un autostoppeur qu'ils font des écarts monumentaux pour passer le plus loin possible de lui, parfois jusqu'à rouler en contre-sens. Maintenant que je l'ai remarqué, je ne vois plus que ça. Je souris un peu.

    Je décide de marcher, même si mes sacs sont lourds, histoire d'avancer, ne serait-ce que psychologiquement. Je marche vingt minutes ou une demi-heure, puis m'arrête juste après une petite route qui rejoint la grande sur laquelle je suis. Je me dis que si la voiture qui me prend vient de cette petite route, j'aurai eu une sacrée bonne inspiration en décidant de marcher jusqu'ici ! Sauf que personne ne vient de là, ou presque... Les voitures passent à toute allure, avec toujours un petit écart lorsqu'il n'y a personne en face. C'est vrai, ce serait peut-être plus facile sur l'autoroute, mais les choses se sont faites comme ça. Et puis j'ai entre-temps imprimé une carte du coin, et je sais que la route sur laquelle je suis croise l'autoroute au bout d'une petite quarantaine de kilomètres. J'attends encore, et quelqu'un finit par s'arrêter... venant de la fameuse petite route. Le type ne parle pas anglais, mais m'avance de quelques kilomètres. Plus d'une heure d'attente pour une poignée de kilomètres, c'est le rythme d'un piéton. Mais je continue. De toute façon, je n'ai plus le choix, je suis au milieu de rien.

    Une troisième voiture me prend après un quart d'heure, m'avance encore de quelques kilomètres, un punk qui ne parle pas anglais non plus. Je continue, rien ; je marche, je réessaie, je remarche. Je finis par arriver à l'autoroute. Elle part d'un côté vers Milan, de l'autre vers Bologne ; la deuxième direction est celle qui m'intéresse. Je me poste à l'entrée, juste après le panneau annonçant l'autoroute... Et l'interdiction de faire du stop. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, je ne peux vraiment pas me placer aure part. Je suis cependant avant le péage, donc a priori en dehors de l'autoroute. Encore et toujours, j'attends. Une voiture de police passe, lorgne, ne s'arrête pas. Je dois avoir le droit d'être là. Je ne sais pas combien de temps j'attends, plus d'une heure sans doute. Au milieu de cette heure, une voiture s'arrête, mais elle va vers Milan. Merci quand même, ça encourage, quelqu'un qui s'arrête.

    La nuit tombe. J'ai fait 40 kilomètres en 6 heures, soit rien ; je suis maintenant immobilisé ici depuis trop longtemps, et la nuit tombe. Je suis fatigué et de mauvaise humeur. Je décide que je vais marcher le long de l'autoroute jusqu'à la prochaine aire, qu'importe si c'est à 15 km. Je ne planterai ma tente que là-bas, et pas avant.

    Je dois donc entrer sur l'autoroute sans passer par le péage : ils ne me laisseraient pas. Je cherche un moyen, je marche dans les environs. Je sens que j'ai ce regard buté qui s'impose parfois sur mon visage dans les moments hargneux. Il y aurait bien ce champ à traverser, mais je ne suis pas sûr de pouvoir entrer sur l'autoroute à l'autre bout, et je ne vois même pas comment accéder à ce champ étant donné qu'une espèce de gros ruisseau m'en sépare et que je ne peux absolument pas le sauter avec mes deux sacs pleins. Peu importe, je m'éloigne en longeant le ruisseau, il doit bien y avoir un petit pont quelque part. Je marche le long de la route, de nuit, avec ma petite lampe de poche. C'est dangereux. Je le sais, je m'arrête sur le côté dès que des voitures passent. Je reprends doucement raison. Partir le long de l'autoroute en pleine nuit sans même savoir où je vais, bien sûr, ça n'a aucun sens. Je dois accepter cette journée ratée, je dois me faire à l'indifférence des gens. Je vais planter ma tente dès que je pourrai, et je poursuivrai demain.

    Je trouve assez facilement un petit coin herbeux, entre le ruisseau et une voie de chemin de fer. Tout ce qui me fallait. Mais à peine suis-je installé que de grands aboiements de chiens résonnent à proximité. Je suis quasiment dans le noir, je ne sais pas si les chiens sont attachés, je ne sais pas s'ils sont de l'autre côté du ruisseau ou du mien. Je me rue dans la tente avec mes sacs et m'enferme. Les aboiements se poursuivent, l'un me semble très proche, un aboiement de gros chien dont je crois même entendre la respiration. J'ai peur. Il est complètement possible qu'un enfoiré ait lâché son molosse en apercevant une tente près de sa maison. Si ça se trouve, le terrain lui appartient. Je reste immobile, les aboiements ne se calment pas. J'envisage des scenarii dramatiques, le chien se ruant sur la tente, le maître ne le retenant pas... Je me mets même à espérer qu'ils appellent les flics, qu'on me dégage calmement. J'avais prévu de manger un peu, de lire puis de dormir. Je n'ai plus envie de rien.

    Soudain, une lumière éclaire la tente. Je me fige quelques secondes. Je fais un peu de bruit en bougeant, espérant que quelqu'un parle. Silence. Toujours cette lumière. Je lance alors, en anglais : "il y a quelqu'un" ? Pas de réponse. La lumière s'en va, mais je n'entends pas de pas. Probablement quelqu'un qui m'éclairait depuis chez lui... Que va-t-il faire maintenant ? J'attends encore. Les aboiements finissent par se calmer, le silence revient. Je travaille sur moi, me dis que ma peur est insensée, que si quelqu'un voulait me faire partir d'ici, il serait déjà venu me voir depuis la demi-heure que je suis ici maintenant. Je décide d'ouvrir très doucement la tente, de m'en extraire, puis de m'éloigner en la tirant avec toutes mes affaires dedans. Je commence par sortir ma tête ; tout semble calme. Les aboiements ressurgissent par intermittences, mais ils ne semblent plus m'être destinés. Les chiens des différentes maisons communiquent simplement. Je sors, tire la tente de quelques mètres, et décide que je resterai là, un peu plus caché derrière quelque buisson. Tant pis si on vient m'emmerder au petit matin. J'ai probablement eu peur pour rien.

     

    Jour 3 : Le stop porte bien son nom

    Réveil aux alentours de 9h, je plie la tente rapidement et pars trouver quelque chose à manger dans le village. Une bonne demi-heure plus tard, je suis posté au même endroit que la veille au soir, à l'entrée de l'autoroute, mitigé entre pessimisme et détermination. Une autre bonne demi-heure plus tard, une voiture s'arrête. "Je vais vers Milan". Ben vas-y sans moi.

    Je ne suis pas de très bonne humeur, et cela ne s'arrange pas. Voir défiler les sièges vides m'énerve. L'autostop, ça devrait fonctionner en deux minutes, partout dans le monde. Je ressasse mes idéaux sur l'espèce humaine, le système qui pousse au non-sens, etc. Progressivement, je me dis qu'il ne sert à rien d'insister, qu'une voiture finira par s'arrêter, et où que son conducteur puisse se rendre, il pourra bien me poser à une gare.

    Après 1h30 de stop, une deuxième personne s'arrête. "Je vais à Milan". Bon, ben emmène-moi à Milan. Tout ça pour ça.

    Milan, c'est la dernière ville que je voulais visiter. C'est la capitale économique de l'Italie, et il n'y a pas grand-chose à y voir à part des immeubles et des enseignes de grandes sociétés. Et puis y aller me fait revenir en arrière. Mais puisque je suis là, je fais exprès de prendre un billet de train pour le milieu d'après-midi, ce qui me laisse le temps d'aller quand même faire un tour. Je n'aurai rien de spécial à en dire, si ce n'est que j'ai mangé de la charcuterie avec du pain dans un petit parc assez calme.

    Au soir, je rejoins Luca à Carpi, près de Bologne. C'est mon deuxième couchsurfer, un grand type un peu rond, gentil, très accueillant. Je ne le savais pas avant de venir, mais Carpi a été le lieu d'un séisme assez puissant en mai dernier (accessoirement le jour de l'anniversaire de Luca, ses 30 ans), il paraît que la presse en a parlé. Certaines maisons sont condamnées, mais Luca m'explique que la ville s'est bien organisée pour réparer les dégâts et reloger les gens, que certaines autres villes sont encore bien plus endommagées plusieurs années après des séismes. Carpi est jolie, aérée, esthétique.

    Le soir, nous mangeons à un festival communiste à Modena, une ville proche. En Italie, dans beaucoup d'endroits, on paie d'abord et ensuite on va chercher ce qu'on a commandé. A ce festival, nous payons à l'entrée du stand en échange d'un ticket, puis nous donnons le ticket à la serveuse. A plusieurs reprises, on m'a expliqué que les Italiens s'organisent ainsi parce qu'ils ne font pas confiance aux gens (c'est plus sûr de les faire payer d'abord). Sympathique. Je remarquerai le même fonctionnement dans un bar puis dans une glacerie.

    Un ami de Luca arrive. Je me rends vite compte que le personnage est particulier. Il ne parle quasiment que de femmes, qu'il appelle "pussydogs" (en référence à une expression italienne, paraît-il). Quand je lui dis que je suis français, sa première réaction est de m'exposer ses exploits avec une Française lorsqu'il était en Finlande... Il est malgré tout sympathique, je ris. Régulièrement, il prend une posture de gorille en recherche de nourriture, le dos cambré, la tête haute, les bras ballants, et, d'une démarche balancée, il fait un petit tour de quelques mètres, scrutant les horizons en quête de pussydogs.

    La soirée ne démarre pas vraiment, la musique nous laisse perplexes et je suis fatigué. Nous rentrons.

     

    Jour 4 : Mouais

    Luca me fait manger local, et c'est très bon. Je bois du Lambrusco, une espèce de vin rouge pétillant typique du coin, sympa.

    En milieu d'après-midi, je prends le train pour Borgo San Lorenzo, près de Florence. Niccolo me reçoit. Il habite en marge de la ville, dans la campagne, j'apprécie l'endroit. Sa maison est grande et il me fait rapidement me sentir comme chez moi. En dehors de ça, je ne saurais pas vraiment l'expliquer, c'est quelqu'un de sympa, mais je n'accroche pas spécialement avec lui. Le soir, nous allons dans le genre d'endroits que je n'aime pas, un bar avec de la musique club et des gens hautains. Niccolo et ses amis eux-mêmes semblent s'ennuyer, alors nous partons assez tôt.

     

    Jour 5 : L'Italie, c'est mieux dans le sud

    Tout le monde me le dit, l'Italie du sud est bien plus intéressante. En arrivant à Pescara, je ne suis pas encore réellement dans le sud, mais disons que je quitte nettement le nord. Et ça se sent. Pier-Luigi vient me chercher à la gare, nous allons chez sa copine, Pamela, qui a une colocataire, Carmen. Nous mangeons tous les quatre, dans une ambiance rieuse, avec la curiosité des rencontres et du vin rouge. Nous décidons ensuite de sortir et d'improviser une petite soirée dans les environs. Nous passons dans deux petits bars incroyablement pas chers, je bois notamment une Piña Colada pour 2€. Ils me proposent déjà de rester un jour de plus à Pescara, et ça me tente, alors j'accepte. Puis Carmen parle d'un nouveau bar que des amis à elle viennent d'ouvrir et où la musique est orientée drum&bass. L'idée plaît à tout le monde, alors nous nous y rendons.

    Ici, ça sent l'inexpérience et l'organisation bancale, mais c'est marrant. Leur musique ne ressemble pas vraiment à de la drum&bass, alors je propose le dubstep que j'ai sur ma clé USB. Ils ont l'air contents. A partir de là, le trio qui m'accueille et moi-même animons littéralement le bar, dansant énergiquement et buvant quasiment gratuitement. Certains regards nous fixent, intrigués, certaines personnes dansent à leur tour.

    Nous rentrons tard et mangeons du raisin avec du fromage. Je ne sais pas si c'est un mélange habituel d'ici ou une idée de mec bourré, mais je m'en fous, j'ai faim.

    à suivre...


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