• Le nakhchi-zapping

    En traçant indéfiniment des lignes semblant vouées à ne jamais se croiser, on finit pourtant par obtenir un dessin avec une forme générale. Un tout. De la même manière, je voudrais aujourd'hui vous livrer des bouts de quotidien qui, à force de parler de tout et de rien sans chercher à se répondre, finiront pas éclaircir un peu plus la présentation de la culture nakhchivanienne que j'esquisse ici depuis quelques semaines. C'est pourquoi cet article aura l'allure de ce qu'on pourrait appeler un zapping. Allons-y !

     

    La journée de la femme

     

    La journée de la femme, ici, fonctionne un peu comme un tremblement de terre. L'épicentre, c'est le 8 mars, mais les jours d'à côté sont touchés aussi. Surtout lorsque l'épicentre est un dimanche...

    Ainsi, dès le vendredi 6, les professeures ont eu droit à leur petite cérémonie à l'Université, pendant que les hommes les remplaçaient en cours. Dans la salle des professeurs, on a mangé du gâteau et bu du thé. Sont ensuite arrivés le samedi 7 et le dimanche 8, en quelque sorte "weekend de la femme". Et pour être sûr d'avoir suffisamment honoré ces dames, le lundi 9 a aussi été proclamé jour férié.

    Le mardi 10 mars, alors que j'étais assis à la cafétéria avec une amie, une professeure et 3 de ses étudiants nous ont invités à prendre une part de gâteau avec eux à la table d'à côté. Très gentils. Nous leur avons demandé s'ils fêtaient un anniversaire. "Non, c'est pour la journée de la femme".

    Un tremblement de terre, je vous dis !

     

    Les logements étudiants

     

    La plupart des étudiants vivent encore chez leurs parents. Parmi ceux qui sont loin de chez eux, beaucoup sont logés à l'internat de l'Université. Une minorité d'entre eux habitent de petites chambres d'étudiants en ville.

    J'en ai visité une. Il s'agit d'une pièce de 15-20m². Un frigo, une petite table, cinq lits. Si, si, cinq lits. Avec cinq étudiants dedans. Dans 15-20m². Ils paient 15 manats par mois chacun, soit une quinzaine d'euros. Plusieurs chambres comme celle-ci sont juxtaposées, et une autre pièce sert de cuisine commune.

    Bien sûr, on a envie d'un de ces clichés réconfortants qui sonnerait un peu comme : "ils n'ont rien, et pourtant ils sont si souriants, ils ont l'air heureux. Quelle leçon de vie !" Mais non. Ils ne sont pas heureux, et il serait bien difficile de s'y méprendre.

     

    Le club

     

    Dans Nakhchivan, il y a un club. L'idée intrigue, tant elle semble en total décalage avec tout le reste des moeurs en vigueur. Un club ? C'est-à-dire un endroit où on danse, où on boit quelques verres, où on drague, où on rit ? Et tout ça la nuit ? Je ne sais pas si j'y crois. Mais pourquoi ne pas aller voir ce qu'il en est...

    Nous y voici donc, un samedi soir, 21h. A l'entrée, on veut nous faire payer 2 manats parce qu'on nous prend pour des Iraniens. On s'aperçoit que nous n'en sommes pas, alors on s'excuse et on nous laisse nous asseoir.

    Arrive une blonde surmaquillée, dans une tenue qui choquerait n'importe quelle travailleuse de nuit dans une certaine forêt de l'ouest parisien... Jupe à mi-cuisses, bas suggestifs, décolleté en forme d'invitation insistante. C'est la serveuse.

    Les bières étant peu chères, je me dis que les autres alcools le sont probablement aussi. Lorsque la fille me parle de 10 manats pour un verre de whisky, je ne peux m'empêcher de pouffer ; terme d'ailleurs doublement approprié à la situation. Réaction de cette dernière (la pouf donc), en mâchouillant ostensiblement son chewing gum : "tu m'expliqueras ce qu'il y a de drôle, que je puisse rire aussi". J'ai pris une bière.

    Pour le reste, population féminine quasi nulle : elles ne peuvent venir qu'avec leur homme, sous peine d'être vues comme des filles faciles. Que doivent-ils donc penser de la blondasse au chewing gum ? Du coup, piste de danse presque déserte (seuls quelques types un peu éméchés s'y aventurent pour rigoler un peu). Les gens restent à leur table, boivent un coup, discutent comme ils peuvent en criant par-dessus la musique. Dans l'ensemble, ils ont quand même l'air de bonne humeur.

     

    Les cours de français

     

    Avec les semaines, j'ai pris la juste mesure des dégâts du par-cœur. Je connaissais les méfaits de ce fléau (voir l'article Enseigner passe par apprendre), mais de tomber nez à nez avec eux les rend encore plus effrayants ! Cette incapacité à prendre la parole autrement que pour réciter... Cette propension à connaître tout un tas de règles par-cœur en restant incapables d'en appliquer une ligne... Bref, je ne retourne pas dans le détail.

    Ce que j'ai à ajouter à ce sujet, c'est que les professeurs ne sont pas seuls coupables. Les étudiants se précipitent en effet sur le par-cœur pour sans cesse repousser le moment où ils devront s'exprimer en autonomie... Cela les effraie. En d'autres termes, les étudiants se complaisent dans la répétition et l'imitation par peur de créer. On peut y voir de la fainéantise, mais je pense pouvoir aller plus loin en parlant de peur de la liberté. Une idée qui me semble totalement cohérente avec le fonctionnement global de la société azérie... Et du coup, clin d’œil inévitable à ce texte de Keny Arkana :

     

    La rencontre

     

    Comme vous vous en doutez, j'ai rencontré beaucoup de gens depuis que je suis ici. Mais une personne se distingue assez nettement de toutes les autres...

    Je ne sais plus son prénom. C'est un Iranien, il vit à Nakhchivan. Il parle un bon anglais et s'exprime de manière très logique, avec beaucoup de comparaisons, parfois trop, presque jusqu'à perdre le fil de la discussion. Il affirme croire en la science et parle beaucoup de statistiques, elles semblent tout dire pour lui. On sent vite le type prêt à régler les problèmes du monde avec des équations

    Il explique par exemple que les individus d'un même pays ont irrémédiablement une base génétique commune. Sachant cela, il serait d'ailleurs bon de brûler tous les Arabes ainsi que les Albanais, qui sont des gens mauvais. C'est scientifique.

    Il affirme également avoir représenté son pays aux Jeux Olympiques, comme lutteur. Il affirme avoir vécu en Thaïlande, où il a été piégé par une femme et s'est retrouvé otage d'un gang. Heureusement, il a réussi à s'enfuir malgré une balle dans la jambe. Ah, j'oubliais, il est capable de boire 52 bières à la suite. Impressionnant, non ?

     

    Le concept de séjour férié

     

    Comme nous l'avons vu avec la journée de la femme, les Azéris conçoivent mal qu'un jour férié ne puisse en accompagner d'autres. De manière générale, ils aiment les cérémonies, les célébrations. Le 16 mars fut par exemple la journée de la francophonie à l'Université de Nakhchivan. Les étudiants ont fait un spectacle en français (chansons et pièce de théâtre), auquel j'ai participé d'ailleurs, et où la direction de l'Université a été conviée, avec discours, photographes etc.

    (Au passage, vous reconnaissez la photo en second plan ? Oui, vous l'avez déjà vue ici-même. Je vous disais qu'elle était partout... Eh bien cela n'exclut pas la salle de théâtre de l'Université...)

    Une autre célébration fut celle du printemps, qu'on appelle ici Novruz. Cela a commencé avec les 4 mardis précédant le printemps. A défaut d'être fériés, ces mardis sont tout de même considérés comme des jours importants et occasionnent des repas en famille. Puis arrive le 21 mars, et c'est l'explosion ! Les étudiants arrêtent de venir en cours 3 à 4 jours avant. On danse, on chante, et surtout : on fait du feu. Ce dernier point est très important. Tout le monde fait du feu, y compris en ville, dans la rue, partout. Même à l'Université. L'idée est de brûler les mauvais moments de l'année passée, mais pas seulement : il s'agit aussi de faire des vœux et de sauter par-dessus le feu à 3 reprises. Tout l'Azerbaïdjan honore cette pratique, et ce dès le dernier mardi avant Novruz.

    Là aussi, un spectacle a été donné, avec la direction de l'Université, des discours, des photographes, puis un repas avec le recteur, ses adjoints et les professeurs.

     

    La bouteille de vin

     

    Pour terminer, une image assez drôle. Avec quelques amis, nous avons découvert que l'un des endroits où nous allons parfois manger en ville sert aussi des bouteilles de vin. Naturellement, nous avons décidé d'essayer. Résultat de l'expérience ? Il semble que les serveurs ne soient pas franchement habitués à ce genre de requêtes. Voyez plutôt !

     

    Sur ce, je vous laisse avec cette bouteille. J'espère que mon zapping aura participé à vous donner une idée de ce à quoi ressemble la vie ici, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Bonne dégustation, et désolé pour les morceaux de liège !

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