• Ne souriez pas, vous êtes filmé

    Bonjour tout le monde. Aujourd'hui, billet d'humeur !

    Voilà plus d'1 mois que je suis à Nakhchivan, et je commence à sortir de la phase de découverte. Je connais bien la ville, j'ai mes repères avec les gens et les lieux. Je ne suis plus dans la nouveauté, donc plus dans l'euphorie qui l'accompagne. L'enthousiasme et la curiosité se sont estompés, ou du moins ne sont plus au premier plan. Un quotidien s'est installé, des habitudes, une compréhension des mœurs et des attitudes ; incomplète certes, mais suffisante pour former un socle et m'ôter le statut de nouvel arrivant.

     

    Après le beau temps vient la pluie

     

    Chute de l'excitation, chute de l'euphorie, et il faut donc que quelque chose les remplace. Dans d'autres circonstances, on appellerait ça une gueule de bois. Dans mon cas, l'expression est mal choisie, puisqu'il est hors de question de concevoir le moindre petit apéro, même très tôt dans la soirée, même exclusivement entre adeptes. Voilà le premier point qui m'exaspère dans cette phase "post-euphorique", si je puis dire. Je ne vois pas qui je dérangerais si j'invitais 2 ou 3 personnes à boire une bière dans ma chambre. L'alcool a beau être légal et en vente libre, cela m'est pourtant explicitement interdit, avec caméra dans le couloir pour surveiller si je rentre bien seul.

    Au début, je ne prêtais aucune attention à cela, j'y voyais un détail anodin. Ce serait une expérience comme une autre, et je verrais bien. Mon regard était sans cesse attiré par tout un tas de choses nouvelles, de sorte à ne pouvoir se focaliser sur rien. Aujourd'hui, c'est différent. Mon regard se pose plus calmement sur les choses, les observe tranquillement, les décrypte ; il prend même le temps de chercher au-delà, quand l'envie l'en prend. Avant, il voyait une caméra, maintenant, il voit le pourquoi de la caméra, ses conséquences, l'état d'esprit des gens qui l'ont mise là etc.

    J'ai réalisé lorsque, muni d'un ton voulu pédagogique, on m'a expliqué à peu près ça : "Tu ne peux pas faire venir V. et A. chez toi comme ça. Ce matin, tu es sorti avec elles en ville : ça, c'est bien (en me montrant la caméra du doigt)". Ils savaient ce que j'avais fait le matin. Jusque là, je ne m'étais pas arrêté sur cette idée que j'étais peut-être réellement surveillé et que cette caméra n'était pas un objet de décoration. Eh bien oui, ils savent quand je sors et avec qui.

    A ce propos, il va de soi que cette caméra sert aussi à vérifier que je ne rentre pas avec une fille. En fait, cela va même plus loin que ça. Aujourd'hui, et je crois que c'est la goutte de trop à l'origine de cet article, j'ai discuté avec une Française qui fait le même stage que moi, mais à Ganja, dans le nord-ouest de l'Azerbaïdjan. Je l'ai vue à Bakou, et depuis, on se raconte comment se passent nos stages respectifs par mails. Elle me disait qu'elle était bien tentée de venir visiter Nakhchivan pendant sa semaine de vacances. Et comme l'Université dispose de quelques chambres d'invités (comme la mienne) qui sont presque toujours vides, il m'a semblé naturel de demander à ce qu'elle puisse être reçue dans l'une d'elles. Savez-vous ce qu'on m'a répondu ? Que le temps était fragile en ce moment, peut-être pas propice aux sorties, que ce serait mieux qu'elle ne vienne pas. Allez, bonne journée !

    Sûr que sur des coups pareils, personnellement, j'ai du mal à garder le sourire. La situation est simple : je suis installé dans un quotidien et j'ai besoin de certaines conditions pour m'y sentir bien. L'une d'entre elles, comme vous avez dû finir par vous en rendre compte en lisant ce blog, c'est un minimum de liberté. En l'occurrence, je ne peux pas me prétendre prisonnier, mais ma dose d'air libre est quand même un peu juste. J'ai un chez moi dans lequel je ne fais pas ce que je veux, est-ce vraiment un chez moi ? On surveille mes allées et venues sans même s'en cacher, on m'interdit d'inviter qui que ce soit dans mon espace censé être privé, on me fait comprendre que je dois refuser la venue d'une copine qui prévoyait de visiter Nakhchivan. Je n'ai pourtant pas des besoins extraordinaires. Je ne demande pas le droit de me pochtronner avec 8 potes en chantant jusqu'au matin ! Ni celui d'organiser des soirées célibataires avec les filles de l'internat ! Seulement voilà, en réalité, disons-le clairement : ce logement au sein-même de l'Université, que l'on présente ici comme un confort et un acte de générosité, ne sert qu'à me fliquer et à casser mes libertés. Sourires chaleureux et jolis mots, et me voilà sagement installé en climat hostile.

    Bon, j'exagère, ce n'est pas un "climat hostile". On ne me veut pas de mal, on veut juste me plier à des interdictions et surveiller que je les respecte bien. Mais pour moi qui suis de personnalité un peu libertaire, tout ça peut vite devenir complètement déprimant. Et cette fois, je n'exagère pas. Honnêtement, ce qui ne me plonge pas dans la déprime ces jours-ci, c'est tout simplement de garder en tête que j'ai déjà fait la moitié du stage et que dans 1 mois et demi je suis loin. (Et en plus, je connais déjà ma prochaine destination, elle est bougrement prometteuse ! Mais vous verrez ça plus tard...)

     

    J'ai bien dit "billet d'humeur"

     

    Attention, j'ai bien dit "billet d'humeur". De mauvaise humeur, certes. Ce qui veut dire concrètement que j'écris cet article dans un mauvais jour, mais qu'il ne faut pas oublier tout ce que je vous ai raconté avant et qui reste 100% valide. J'apporte cette précision parce que je ne voudrais pas que vous vous disiez : "Ah, ça y est, il a réalisé qu'il était dans un pays de merde, ça lui a quand même pris 5 semaines" !

    Taratata. Mon expérience de professeur reste très enrichissante, ma relation aux étudiants pleine de respect, de bonne humeur voire d'amitié. Je fais des sorties avec d'autres étrangers, j'apprends des choses sur les cultures azérie et autres. Et je maintiens que les Azéris sont de manière générale très chaleureux et accueillants.

    Je suis aussi conscient que mon présent malaise, face à une situation que je vis comme liberticide, est en partie d'ordre culturel. Je viens d'un pays où j'ai plus de libertés, d'où ma difficulté de me retrouver soudainement amputé d'une partie d'entre elles. On m'enlève quelque chose que j'ai toujours eu et qui me semblait couler de source. Mais eux ne savent pas ça. Eux agissent selon leurs règles, leurs mœurs, leur sens du bon. Ils sont chez eux et appliquent leur normes : quoi de plus logique ? Ils ne se doutent pas une seconde que des conditions si banales à leurs yeux puissent pour moi être sources de malaise et d'étouffement. Il y a fort à parier qu'ils me croient même épanoui et qu'ils s'enorgueillissent de leur capacité à m'accueillir de la sorte.

    Conscient de tout cela, et aussi du fait qu'il ne me reste qu'1 mois et demi à vivre ici, j'opte pour l'acceptation. C'est à moi de m'adapter, pas à eux, et c'est aussi ce à quoi je m'engage lorsque je signe pour partir dans un pays dont je ne connais absolument rien. Je ne peux pas partir à des milliers de kilomètres et ensuite me plaindre de ne pas retrouver mes habitudes françaises ! Les trouvailles ne peuvent pas toutes être enchanteresses, et les surprises ne peuvent pas toutes êtres bonnes. Une fois de plus, je remercie mon goût pour l'écriture de me permettre d'exprimer tout ça plutôt que de le garder sur le cœur.

     

    Pour finir avec le sourire

     

    Cela fait un petit moment qu'on n'a pas vu la moindre photo orner mes articles... Voici donc, pour conclure sur une bonne note, un aperçu de ma sortie à la montagne d'Alinja qui a eu lieu le weekend dernier.

     

    Des airs de mini Matchu Pitchu...

     

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